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diplo mat
28 janvier 2007

Souverainitude

Ségolène Royal a déclaré le 21 janvier 2007, en réponse à une question bizarrement posée sur ses affinités sur la souveraineté du Québec : "Elles sont conformes aux valeurs qui nous sont communes, c'est-à-dire la souveraineté et la liberté du Québec. Je pense que le rayonnement du Québec et la place qu'il occupe dans le coeur des Français vont dans ce sens".
Cette déclaration va plutôt dans le sens d'une ignorance assez crasse des usages diplomatiques, mais aussi, ce qui est beaucoup plus grave, d'une vision assez autoritaire, mais très française, de ce que doit être le monde.
Passons sur les premiers mots ("conformes aux valeurs qui nous sont communes"), qui ne sont pas censés avoir de signification précise : formule vague, mots valises, mais ils sont incontournables, pour montrer qu'on n'est pas un cynique. Les valeurs, depuis 15 ans, il faut les mettre à toutes les sauces, c'est encore plus joli quand elles sont communes, parce que l'unanimité autour des valeurs, ça fait bien - passons ce n'est pas le coeur du sujet.
La suite est plus intriguante : "la souveraineté et la liberté du Québec". On aimerait déjà savoir si, en alignant ces deux termes, Mme Royal fait une simple redondance - pour mieux insister sur le fait que le Québec n'est pas libre, ou est menacé de ne plus l'être - ou si elle donne un sens différent aux deux mots, auquel cas, il faudrait qu'elle explique, car s'agissant d'un peuple ou d'une région, la distinction est subtile. Mais passons, ce n'est pas non plus le coeur du sujet.

Cette déclaration est problématique à plusieurs titres :

1. d'abord, elle démontre une ignorance de la situation véritable du Québec, ignorance certes partagée par une grande partie de la population française, mais qu'on est en droit de ne pas attendre d'un candidat à la présidence de la République.

Manifestement, Ségolène Royal en est restée au Québec libre du général de Gaulle - depuis lors, pourtant, le Québec n'est plus la même province (on pourrait noter son faible taux de chômage, sa prospérité par tête supérieure à celle de la France, son très bas taux de natalité, catastrophique, même, alors qu'il était encore digne d'un pays en développement il y a 40 ans...). Et le Québec au sein de la fédération canadienne n'y a plus la même place non plus : le parlement fédéral a reconnu récemment le statut de "nation" au Québec, ce qu'André Boisclaire, le président du parti québécois, estime être un pas important, une "sortie du déni". N'oublions pas que le PQ a été à l'origine des deux référendums perdus par les souverainistes. A. Boisclair estime d'ailleurs que si le Québec n'éprouve plus de ressentiment à l'égard du Canada anglais et qu'il est désormais sûr de son identité, la question institutionnelle continue de se poser - mais il n'est que le chef du PQ, dans l'opposition à Québec.

Autre élément, qui laisse penser que la candidate a de mauvais conseillers ou ne lit pas leurs notes, parler de souveraineté du Québec ne peut qu'être très mal interprété au Canada : le terme y est très fortement connoté et se prononcer en sa faveur, signifie que l'on souhaite l'indépendance du Québec.

2. La position de la France sur le débat souverainiste au Québec est, depuis longtemps et quelle que soit la majorité, définie par les termes : "non ingérence, non indifférence". OK, ce n'est pas un argument en soi, car les positions les mieux établies sont faites pour être remises en cause s'il apparaît que les motifs qui ont présidé à leur édification ont disparu. Mais en l'espèce, on voit mal ce qui justifierait que la position française à l'égard du Québec change.

3. En tout état de cause, une remise en question de la position de la France sur le souverainisme devrait partir d'une analyse des conséquences d'une éventuelle indépendance du Québec : est-elle bénéfique pour nous ? et pourquoi ? quelles sont les conséquences pour le reste du Canada ? le Canada est-il plus fort ou moins fort face aux Etats-Unis (contrairement à ce qu'on pense en France, le Canada n'est pas un satellite américain, notamment pour ce qui touche aux questions environnementales internationales) avec ou sans le Québec pour la présence et l'influence françaises au Canada et aux Etats-Unis ?... Bref, pas à la suite d'un entretien rapide avec le président du parti québécois.

On peut trouver comme excuse à Ségolène Royal qu'elle a été prise de court, qu'elle ne connaissait pas le sujet - d'ailleurs son malaise est visible à l'écran (ici), d'où, sans doute ses premiers mots totalement langue de bois. Mais sa méconnaissance du sujet, à la limite excusable au fond, aurait dû lui faire dire la seule réaction qu'appelait son sens politique.

4. Et c'est donc là qu'apparaît la conclusion la plus inquiétante de ce quatrième impair en politique étrangère : son ignorance des différents sujets qu'elle a abordés (Liban, Chine, Iran, Québec), elle aurait pu la compenser par son sens politique. Qu'à quatre reprises elle ait trébuché est sans doute le signe qu'elle en est dépourvue.

Car enfin, il n'est pas besoin d'être grand clerc pour réagir de la même façon que le Premier ministre canadien et le chef de l'opposition fédérale : le premier, Stephen Harper, s'est contenté de rappeler une évidence, à savoir que "l'expérience apprend qu'il est tout à fait inapproprié pour un leader étranger de se mêler des affaires démocratiques d'un autre pays" ; le second, Stéphane Dion, a rappelé qu'on "ne souhaite pas le démantèlement d'un pays ami".

Surtout, Jean Charest, Premier ministre du Québec, a rappelé une évidence démocratique qui semble avoir échappé à Mme Royal : "ce que je sais, c'est que l'avenir du Québec, ce sont les Québécois qui en décideront et eux seuls". Si c'est ce que voulait dire la candidate socialiste, elle s'y est bien mal prise.

Cette déclaration est au fond symptômatique de bien des tares de notre diplomatie (de notre vie politique en général), à savoir que les sentiments, les émotions priment sur la réflexion et l'analyse.

Et, en tout état de cause, nous ne faisons jamais confiance aux peuples étrangers (et d'ailleurs si rarement au nôtre) pour décider de leur destin, ou alors nous le faisons après que nous avons été mis devant le fait acompli et seulement après avoir longuement résisté : ce fut le cas des guerres d'indépendance de nos anciennes colonies, mais on pourrait dire la même chose du refus de François Mitterrand d'admettre que la cause de la guerre en ex-Yougoslavie n'était pas le démantèlement de ce Etat qui n'avait jamais été que l'oppresseur des peuples qui le composait, mais le refus armé opposé à ce démantèlement par Slobodan Milosevic.
Espérons que, si Mme Royal est élue présidente de la République, elle daigne ne pas s'occuper d'affaires étrangères et confie cette tâche à quelqu'un qui ne revendiquerait pas avec autant de force qu'elle un héritage mitterrandien dont on a peine à voir, en diplomatie notamment, ce qu'il a de positif.

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